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Ce tableau de 1935 est d'une actualité renversante et semble beaucoup plus récent. Pour mes cinq ans, j'ai reçu des poupées japonaises en bois. Elles étaient délicates avec de grands chapeaux, deux traits noirs en guise d'yeux bridés et des vêtements de soie tissés de fil d'or dotés de obis. Il m'était mortellement défendu de les manipuler. Elles devaient être une parure luxueuse sur mon bureau à tiroirs. Tous les jours, je les approchais religieusement en retenant mon souffle en avançant ma main avec une grande délicatesse de peur de les écraser. Ma mère avait tellement bien ancré la peur de les briser que malgré moi je me retenais de les manipuler. Mais je ne pouvais m'empêcher de les admirer chaque jour. Un jour une petite fille dont la mère était pauvre et malade vint passer quelques heures chez nous. La première chose qu'elle fît une fois dans ma chambre fut de prendre les poupées. En deux secondes, elle déchira la soie sur l'une d'elle. Je fis l'impensable. Je lui rentrai mes griffes en plein visage sans colère et refusa de lâcher prise. Ma mère me punit pour avoir attaquer et blesser la petite fille et lorsque je lui fis remarquer qu'elle avait brisé la poupée, elle me répondit: «Ce n'est pas grave.» Clairement, je ne lui ai jamais pardonné cette inconséquence. Alors même que cette toile fait resurgir ce souvenir, ce qui est étrange c'est combien le sujet même de cette toile ne semble rien à voir en soi... Alors, pourquoi cette toile plutôt qu'une autre? Le geste de nouer le obi comporte un rituel, qui comme la préparation rituelle du thé est composé de gestes mesurés et dédiés... Si la fraîcheur de l'âge se perd, la dignité de cette gestuelle experte reflète une beauté mature. Il lui reste au moins cela. Ce jour-là, je savais que ma mère avait fauté de manière plus grave que moi. J'aimerais penser que c'est en silence, à gestes mesurés que je me comportai. Mais j'eû plutôt une crise de colère et de larmes à faire trembler la terre qui dura des heures. Je trouvai le silence par épuisement, en hoquetant jusque dans un sommeil troublé, inconsolable. So much pour la dignité.

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